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LE BLOG BD/MANGA de Fabien Tillon
17 mai 2007

BD : l'Allemagne l'a à la Bonn !

Un récent voyage en Allemagne, dans la région de Cologne, Aix la Chapelle et Bonn, m'a appris plusieurs choses. J'avais une vision tronquée, j'estimais que la BD chez nos voisins d'outre-Rhin était une chose quasi morte et enterrée, à l'exception du manga. Mais je suis allé de surprise en surprise. Il est vrai pourtant que le marché de la BD en Allemagne repose à 90 % sur l'importation (manga surtout pour 60 à 70 % de la production, puis comics américain et franco-belge), la production locale étant laminée depuis la grande crise de la fin des années 80. Il n'en demeure pas moins que l'on sent, notamment dans le marché de la presse, une vitalité intéressante. Par exemple, j'étais resté sur l'impression, après la mort du magazine Rraah ! au début des années 2000, qu'il n'y avait plus de support presse évoquant la franco-belge au pays de Goethe. Hé bien, cétait très bête ! Il existe l'excellent Zack, qui prépublie et informe sur la production française, belge et hollandaise. J'y ai découvert notamment Havank, du hollandais Danier (Daan Jippes), dont la publication a commencé en 2005 si mes sources sont exactes (http://lambiek.net/artists/j/jippes.htm) et qui est un petit chef d'oeuvre d'inspiration franquinienne. On trouve aussi du Tibet et du Dorison dans cet agréable mag.

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En presse toujours, je suis tombé sur de nombreux autres supports, surtout axés sur l'héroic fantasy, le manga et les comics de super héros américains. La BD se retrouve même dans les magazines de sport, plutôt destinés aux plus jeunes. Ainsi le magazine Flitzzz, spécialisé dans le foot, qui publie trois-quatre BD en une page, gags tournant autour du ballon rond.

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Mais surtout, ce qui m'a semblé important, c'est la politique de réédition sous format souple, et donc vendu en kiosque, des classiques de la BD nationale. La tradition allemande de BD est beaucoup moins développée que dans l'espace francophone, mais une poignée de chefs d'oeuvres ont tout de même vu le jour - je pense à l'oeuvre de Ralf König ou à celle de Schultheiss, dans les 20 dernières années. Plus loin dans le temps, et très peu connu en France, il y a les BD de Hans-Rudi Wäscher. Figure phare de la BD allemande des années 50 et 60, Wäscher est notamment l'auteur de Sigurd, classique entre les classiques. Sigurd est actuellement réédité en kiosque, pour un prix relativement élevé (7,80 E) et pour une qualité d'impression pas totalement satisfaisante, mais cela permet aux jeunes (et moins jeunes) allemands d'y avoir accès. Sigurd n'est autre que le fameux Siegfried, celui de la légende des Nibelungen. Le grand chevalier blond pourfendeur de dragons, réutilisé par la jeune nation allemande (et par Wagner) au XIXème siècle pour fonder l'identité nationale sur la base de mythologies populaires - entreprise totalement dévoyée, comme on le sait, par le nazisme dans les années 1930. Sigurd ressemble à une bande classique de BD médiévale réaliste, mais il est intéressant de la voir rééditée aujourd'hui. Comme quoi, les mythologies nationales ont la vie dure...

a_SigurdFigur         SigurdBuch1           Sigurd4a

Et le manga, dans tout ça ? Il est très présent en kiosque, en librairie, bien sûr. Il bénéficie de rayonnages spéciaux, qui lui sont réservés. J'ai même trouvé des traces de fusion entre les styles de l'héroic fantasy et ceux du manga, dans des magazines plein de sorcières et de démons au grands yeux, aux atmosphères de semi-pénombre perpétuelle ! Mais, plus intéressant, j'ai pu assister à un dialogue inédit entre la modernité manga et le monde de l'art le plus savant et le plus chevillé au corps de la vieille Allemagne. Sujet total d'étonnement : l'album Pax animae, Der Meister und der Mangaka.

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De quoi s'agit-il ? De rien moins qu'une relecture, par les moyens du manga, d'une vieille légende de l'histoire du christianisme allemand, la légende de Sainte Ursule et des 11 000 vierges (dont Apollinaire détournera le nom pour son roman érotique les 11000 verges). Ursule, selon la légende, aurait été une princesse du IIIème ou IVème siècle qui, au retour d'un pélerinage, aurait été poursuivie par les assiduités d'Attila, chef des Huns. Elle est massacrée, ainsi que ses compagnes (qui en réalité étaient 11 plutôt que 11 000), dans la ville de Cologne assiégée par l'armée des Huns, non sans avoir refusé d'abjurer la foi chrétienne. On voit tout ce que cette légende comporte de mythologie de la pureté chrétienne opposée aux barbares, etc. La scène a frappé les imaginations, Ursule est devenue sainte, les explorateurs ont même baptisé des îles en usant de son nom (les îles Vierges ainsi que l'archipel des 11 000 vierges, ancien nom de Saint-Pierre-et-Miquelon). De nombreux peintres ont illustré le martyr, et notamment le Maître de Cologne, auteur d'une série de peintures conservées au musée Wallraf à Cologne. Ces peintures fonctionnent de manière narrative : chaque image montre un épisode du voyage et du martyre d'Ursule.

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C'est ici qu'intervient le manga. Sascha Schäzchen, jeune mangaka de la région, a eu la bonne idée de mettre en regard les images du Maître de Cologne avec les siennes. D'où un livre étrange, édité par le musée Wallraf et les éditions Egmont manga und anime, que l'on lit de droite à gauche bien sûr, où l'on trouve sur la page de droite les peintures anciennes et sur la page de gauche des planches de manga. Encore plus fort : Schäzchen ne propose pas une relecture de la légende (par exemple une manière de redessiner l'histoire racontée par les peintures dans un style manga), mais une voie totalement différente. Ursule, sainte nue orbitant en position foetale autour de la terre, revient brusquement parmi nous et atterrit dans la Cologne moderne. Au-delà du bien et du mal, elle décide de se venger des souffrances infligées et pour cela commence à tuer de pauvres terriens. Mais les anges la rappellent à l'ordre en lui imprimant à nouveau la marque de la morale et du respect de la vie. L'histoire est un peu anecdotique (l'auteur il est vrai n'a qu'une dizaine de pages), mais ce qui est épatant, c'est la réalisation. Il faut voir Ursule toute nue bondir sur les toits de Cologne avant d'énucléer sauvagement les passants ! Les effets de miroir entre les images anciennes et les images manga sont souvent assez savoureux, par exemple lorsqu'on compare la manière de représenter telle église dans la miniature et dans le dessin manga. Il y aurait beaucoup à dire aussi, bien évidemment, sur la notion de mouvement et d'utilisation de l'espace dans les deux esthétiques. La nudité féminine, en revanche, est presque la même dans les deux types de représentation, et cela aussi c'est troublant !

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A quand une version manga (ou franco-belge ?) de la tapisserie de Bayeux ?

Pour en savoir plus sur la BD allemande : quelques papiers du Goethe institute (http://www.goethe.de/wis/pre/kub/kub/kwa/004/fr187772.htm et http://www.goethe.de/wis/pre/kub/kub/kwa/004/fr187774.htm), le site du magazine Zack (http://www.zack-magazin.com/zack/index.php?parent=1&sub=yes&idcat=1&lang=1), le site manganet.de qui présente Pax animae - en allemand bien sûr (http://www.manganet.de/pax_animae.jsp).

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