Hongrie et on pleure
Réaliser une histoire en bande dessinée, de surcroît autobiographique, sur un sujet tel que la Shoah, c'est s'attaquer à un mur. Celui que représente le chef d'oeuvre d'Art Spiegelman, Maus. Mais Miriam Katin n'en a cure. Elle a débarqué en France avec son magnifique Seules contre tous (Seuil), il y a quelques mois, et nous bouleverse encore. J'avais lu rapidement l'ouvrage à sa sortie, j'ai pris le temps de m'y replonger. Son crayonné magistral, proche du dessin anglais à la manière de Posy Simonds ou de Raymond Briggs, rend plus poignant encore cette histoire de passion et de mort. C'est une manière, aussi, de placer cette histoire dans le giron de l'enfance (comme Spiegelman l'avait déjà fait), tout en instillant une sensualité parfois glaçante. Mais Katin sait aussi forcer son dessin dans des pages où prime une violence plus "jetée".
Je retiens la première scène de l'ouvrage comme l'une des plus belles qu'il m'ait été donné de lire en BD. Un parallèle est brossé en quelques cases entre les ténèbres dont parle la Torah et la couleur noire de la svastika au centre du drapeau nazi (Mauriac évoquait à son propos une grande araignée gorgée de sang...). Quand cette couleur mange le jour qui entre par la fenêtre parce qu'un drapeau y claque, c'est la mort qui s'invite, déjà.
Un autre point, et non des moindres. La réalisation du livre est remarquable, imprimé sur un papier rude et sensuel à la fois (à l'image de l'histoire), à l'odeur envoûtante. Un grand bravo pour le beau travail du Seuil, qui sait parler à notre fétichisme livresque !
Cette histoire d'une petite fille et sa mère, abandonnées, trahies, laissées sans défense au beau milieu de la Hongrie nazie, "seules contre tous" - cette histoire d'une femme forte et de sa fille fragile, traquées par toute une société prête à les offrir en sacrifice à un dieu brutal et sanglant, cette histoire nous va droit au coeur.
Le XXème siècle n'a pas fini de nous poursuivre de ses visions glaçantes.
Toutes les images de ce post sont ©Seuil