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LE BLOG BD/MANGA de Fabien Tillon
14 février 2013

Hiroshige, Van Gogh : même combat ?

 

L’art comparé est un exercice difficile. L’exposition Hiroshige/Van Gogh,  actuellement visible à la Pinacothèque de Paris (jusqu’au 17 mars), le prouve amplement. J’étais pourtant très enthousiaste à la perspective de ce dialogue, étant moi-même partisan d’explorer plus avant les échanges créatifs franco-japonais : il y a une influence majeure, bien que souterraine, entre nos nations. Dans mon ouvrage Culture Manga (éditions Nouveau Monde), je tentais  d’évoquer cela en matière de bande dessinée et de manga – mais aussi, plus généralement, en matière d’expression picturale.

 

Hiroshige_Man_on_horseback_crossing_a_bridge

 

L’art pictural, justement. Première surprise, à la Pinacothèque : les deux expositions Hiroshige et Van Gogh  sont séparées, dans deux espaces éloignés l’un de l’autre. Je croyais serpenter à travers les allées d’une discussion, et je bute sur un cloisonnement rigide. Et c’est là que  le premier bât blesse : l’exposition Hiroshige ne dialogue pas du tout avec celle de Van Gogh, elle est autonome. Ce n’est que dans l’espace réservé au génial hollandais qu’une conversation picturale est enfin organisée entre les estampes nippones (celles d’Hiroshige, mais pas seulement) et les toiles de Vincent. Mais, deuxième bât : dans l’exposition Van Gogh, les reproductions d’estampes qui sont placées à côté des toiles du Hollandais, pour censément dialoguer avec elles, sont reproduites sur d’affreux petits kakémonos, souvent imprimées en noir et blanc : on n’y voit donc pas grand chose.

Mais il y a pire : l’exposition, à trop vouloir convaincre de l’influence foncière d’Hiroshige sur Vincent, vire rapidement à un systématisme pénible, voire légèrement ridicule. Les textes explicatifs, en tenant absolument à démontrer, vont chercher dans les écrits du peintre toute preuve, n’importe quel bout de phrase, tendant à étayer la thèse centrale. Or, on s’en souvient peut-être dans ses Lettres à Théo, le Japon est certes présent dans les pensées de Van Gogh, mais aussi d’autres influences et sujets de méditations, notamment Rembrandt, Rubens, Hals, ou encore le douloureux rapport à Dieu et à la Vocation... Cette pédagogie forcée se reflète d’ailleurs dans les comparaisons picturales : elles sont souvent, comme je l’ai entendu dire par un public peu convaincu, « tirées par les cheveux ».

C’est d’autant plus dommage que l’influence est indéniable, dans tel cadrage, dans certains traitements chromatiques, dans le détail des formes picturales : les arbres de Vincent, par leur aspect torturé, naufragé sur terre, ont une dette envers les Japonais. Mais, s’il se met parfois à recopier telle estampe, comme pour se la mettre en main, Vincent n’est vraiment lui-même que lorsqu’il synthétise, dans son laboratoire particulier, l’influence nipponne, comme il l’a fait avec la leçon du dessin anglais, de la tradition flamande, du Réalisme, comme il le fait, jour après jour, avec sa pénible expérience de l’existence.

 

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Van Gogh, c’est bien plus que le Japon – et c’est à cette conclusion qu’on ne peut, paradoxalement, que parvenir à l’issue de l’exposition. Peut-être aurait-il fallu une mise en scène à la fois plus confortable (à bas ces méchantes reproductions en noir et blanc !) et plus technique, pour convaincre plus profondément. La volonté de réaliser à tout prix une exposition grand public dessert, je crois, le propos.

Van Gogh, c’est bien plus que le Japon : et il n’est que de plonger une nouvelle fois les yeux dans cet univers voué aux flammes, habité par le feu brûlant de la matière et la rayure des couleurs, torturant le regard pour mieux le laver et le purifier, le violentant pour le transcender – il n’est que de revoir cela, pour s’en convaincre. 

 

 

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