Lastman ou BigBazar ?
Entendons-nous bien : je trouve le Lastman de Balak, Sanlaville et Vivès relativement réussi. Plutôt dans la version couleur que l'on trouve sur internet, d'ailleurs, que dans la version papier qui vient de sortir : les couleurs rendent davantage service à la narration. Et puis, il faut aimer les séries sportives, ce qui n'est pas nécessairement le cas de tout le monde. Mais ici les qualités légères du dialogue et des mises en situation emportent l'adhésion, en tout cas sur un premier tome.
Mais là n'est pas mon propos. Je suis attristé par la mauvaise qualité du journalisme BD entourant la sortie de cette série. Partout, on peut lire des commentaires enthousiastes saluant la sortie du premier "des franco-mangas" (dixit "Le Monde des Livres", édition du 5 avril) ou d'une "série shônen à la française".
On rappellera au "Monde des Livres" que depuis une bonne vingtaine d'années le "manga à la française" ou "fusion" connait divers avatars, depuis les planches pleines de brio de Trantkat dans "HK" (Glénat, 1995) à celles, très "anime" de "Dofus" (Ankama), en passant par les aventures pleines de bruit et de fureur (et hélas, d'échecs) de la presse magazine, le défunt "Shogun" en tête.
Non, "Lastman" n'est certainement pas le "premier des franco-mangas", mais arrive à la suite de quelques réussites et de pas mal d'échecs, ce qui explique peut-être le caractère consensuel et syncrétique que possède le titre.
Car, foin de manga shonen, "Lastman" n'a que des rapports lointains avec la bande dessinée japonaise. D'abord, au point de vue graphique. Rien dans le trait de Vivès et de ses camarades n'évoque le manga shonen, avec ses trames, ses dessins super-deformed, etc. Le dessin ici est très européen, même s'il est "jeté" et publié en noir et blanc : ce en quoi il se réfère davantage à la tradition de Reiser qu'à celle de Toriyama.
Dans le traitement, ensuite. Même s'il se rapproche en apparence de certaines thématiques du manga shonen de combat ou d'aventure - la quête, la fragilité du héros, les épreuves -, "Lastman" retrouve surtout la tradition européenne du Petit Format de sport, telle qu'illustré par les éditions "Mon Journal" notamment, à partir de l'après-guerre. Guère connues aujourd'hui, et surtout guère reconnues dans leur influence, les publications du type "En Garde !", "Atémi" ou "Les rois de l'exploit" racontaient déjà à longueur de pages noir et blanc les exploits de sportifs en tout genre, pour les adolescents des années 50, 60, 70 et 80 (les titres ont périclité grandement ensuite, pour quasi disparaitre aujourd'hui).
Le grand mérite de "Lastman" est de (tenter) de revitaliser l'esprit de cette BD populaire, tout en adjoignant la touche de classe et de prestige suffisants (un éditeur reconnu, un auteur plébiscité dans les festivals et par la critique) pour éviter les jugements culturels négatifs, qui ont tant coûté aux Petits Formats français. Bien sûr, on retrouve ici ou là quelques influences nipponnes (un certain esprit "Dragon Ball"), mais entassées parmi d'autres. "Lastman", premier des néo-Petits Formats ?